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20 décembre 2010 1 20 /12 /décembre /2010 09:26
Novembre 2006, devant Thomé-Génot. Le visage marqué par des jours de combat syndical, Larry Séré témoigne de ses inquiétudes à des camarades d'usine. A gauche, Sylvie qui, lors de la fête de Noël, lui tendra une enveloppe.

Novembre 2006, devant Thomé-Génot. Le visage marqué par des jours de combat syndical, Larry Séré témoigne de ses inquiétudes à des camarades d'usine. A gauche, Sylvie qui, lors de la fête de Noël, lui tendra une enveloppe.

 

ACCABLÉS par la crise économique qui frappe actuellement les Ardennes, des cadres ou des ouvriers licenciés, bafoués, humiliés, doivent en secret tenir un journal, dont la vertu thérapeutique est évidente.

 


Le témoignage de l'un d'eux m'est parvenu au hasard d'une rencontre, le mois dernier, devant la boulangerie de mon village. Larry Séré, que j'ai connu enfant, m'a confié qu'il avait « il y a pas mal de temps » écrit ce qu'il a vécu lors du naufrage de l'usine Thomé-Génot de Nouzonville. M'étonnant de ce qu'il n'ait montré son récit à personne et demandant pourquoi il avait mis tant de temps avant de me le confier, il m'a répondu : « C'est dur de remuer le malheur… »
 

Onzième d'une famille ouvrière de douze enfants, Larry Séré, âgé de quarante-trois ans, habite la vallée de la Goutelle. Intitulé « Thomé-Génot 2004, mémoire de salarié », son témoignage s'ouvre sur ces mots : « Je suis forgeron ardennais et fier de l'être. En 2004, notre entreprise de forge Thomé-Génot a été donnée au groupe américain Catalina.

 

 Le début paraît tout beau, tout rose. Mais nous, salariés, nous rendons compte que ces gens qui à leur arrivée prêchaient la bonne parole se mettent à piller l'entreprise. »
 

Deux ans plus tard, en octobre 2006, « il n'y a plus d'acier pour la fabrication. » A l'inquiétude succède l'angoisse. Il faut briser le silence des patrons, mobiliser les énergies pour sauver les quatre cents emplois. Délégué de la CFDT, Larry Séré est du combat dans « l'intersyndicale des Thomé-Génot » qui vient de naître.
 

 

Madame la Préfète
Il assiste à une réunion surréaliste à la préfecture des Ardennes. « Madame la Préfète, écrit-il, nous indique que la direction de l'usine lui a dit de ne pas nous inquiéter. A la sortie de cet entretien, des collègues qui nous attendent devant la préfecture arrivent en courant. Ils ont vu Monsieur Ballu, le directeur financier, sortir du tribunal de commerce. Le soir, mon portable sonne. Maître Xavier Médeau veut voir les représentants de l'intersyndicale. A 19 heures, il nous annonce la liquidation judiciaire de Thomé-Génot ! »

 

L'intersyndicale décrète la mobilisation générale. Retour chez la Mme la préfète qui, scandalisée, déclare qu'elle va aider les ouvriers en colère : « Il est hors de question que les patrons voyous s'en tirent facilement, lui déclare Larry, nous exigeons une prime supra-légale de trente mille euros pour chacun de nous ! »

 

Délégué syndical, Larry est accaparé par les réunions où l'on n'en finit pas de discuter et par des démarches administratives. « Tout le monde veut me rencontrer, écrit-il, je suis partout à la fois et passe rarement une journée complète avec mes camarades. […] Ma femme et mes enfants me manquent. Ils ne me voient plus, si ce n'est à la télé.

 

 Quand je rentre chez moi, mon épouse me soutient comme elle peut, mais je suis fatigué. Nous occupons toujours l'usine, le feu brûle au milieu de la cour. Tout le monde s'énerve, on entend des bruits de couloir, mettre le feu à la boîte, balancer l'acide, faire sauter les bonbonnes, ça craint. […] Et ce stress : j'ai l'impression de laisser tomber mes collègues qui sont dans la rue. »
Chaque soir, bien qu'épuisé, il confie à une page blanche les heures noires qu'il vit dans le combat qu'il mène pour que ses camarades licenciés touchent leur salaire et une indemnité de licenciement dite « supra-légale ».

Mes nerfs lâchent
Des mots simples martèlent un quotidien où les événements s'embrasent : « Le jour se lève. Aujourd'hui, nous bloquons le centre de tri postal et la gare. Le froid. Des pneus qui brûlent. On attend. Mais l'attente est rude. On ne nous écoute pas beaucoup […] Je dénonce certains syndicats qui aujourd'hui encore se vantent d'être à nos côtés. Oui, ils sont là uniquement par obligation et surtout pour se taper dessus médiatiquement. »

La distribution tant attendue des salaires, loin de satisfaire Larry, accroît son désespoir. « Une grande journée de lâcheté. Il ne manque personne. Les planqués des manifs sont là pour leurs payes. […] Je me mets à l'écart et je regarde ma paie. Net à payer, zéro euro, zéro centime… »

Afin de pouvoir changer de voiture, il avait emprunté à Thomé-Génot quinze cents euros, qu'il s'était engagé à rembourser en faisant don de ses heures supplémentaires. Celles-ci s'étant volatilisées, on s'empresse de faire une saisie sur son salaire, alors, écrit-il, que « les fumiers d'Américains nous volent, eux, des millions d'euros ! »

Les délégués syndicaux se rendent en bus à Paris, en un lieu que Larry ne précise pas. Mais en peu de mots, il en dit long sur l'accueil qui leur est réservé : « Reçus dans un grand bureau. Là, des fonctionnaires nous disent que la prime supra-légale, c'est pas possible. Maintenant, il faut rentrer à l'usine et annoncer notre défaite. »

Juché sur une caisse en bois, dans la cour de l'usine, Larry a droit aux insultes de quelques camarades désespérés. Le lendemain, les CRS occupent l'usine. Larry s'attend au pire. « Vers 11 heures du matin, mon téléphone sonne, quelques agités ont envahi le restaurant administratif de Charleville-Mézières. Casse, vol, ça part en vrille. Je décide de me rendre sur place, m'excuse personnellement au nom de mes camarades. »

A Nouzonville, les CRS aspergent de gaz lacrymogène une manifestation de soutien aux Thomé-Génot. « Ma femme parvient jusqu'à la grille de l'usine. En la voyant, mes nerfs lâchent, je me mets à pleurer dans ses bras. »
Douleur d'un homme étreint par la douleur des hommes, des femmes, des enfants à qui il a tenté de rendre ce bien précieux que l'on nomme « la dignité ».
Le récit de Larry Séré s'achève sur une scène bouleversante. L'ex-comité d'entreprise a tenu, comme si de rien n'était, à continuer à offrir un beau Noël aux enfants des ex-Thomé-Génot. « Certains joueurs du CSSA sont venus avec des cadeaux pour nos bambins, écrit Larry. Les artistes commencent leur spectacle. Comme c'est beau des enfants qui rient, des parents qui pleurent. Aujourd'hui, c'est la joie, hier, c'était la colère. »

Et puis, Larry use du mot « stupeur ! » pour annoncer le geste fraternel de ses camarades. « Sylvie me remet une enveloppe et m'explique que mes collègues, au courant du salaire que j'ai pas touché, ont décidé de faire une quête. Je pleure, mes nerfs craquent. J'avais un drôle de sentiment, celui d'avoir fait l'aumône et aussi, peut-être, celui d'avoir aidé mes camarades qui en étaient conscients. »

Qu'en pensent les chênes de nos forêts ?

source:l'ardennais

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