Woerth lâché, Sarkozy de plus en plus erratique

 Alain Juppé a pris ses distances avec le meilleur des sarkozystes Eric Woerth. Il n'est ni le premier ni le dernier. Et manifestement, le Président n'a plus la main verte...

 

Avec des amis comme Alain Juppé, Eric Woerth, qui fut l'un de ses proches, n'a plus besoin d'ennemi. C'est lundi 28 juin au soir en effet que l'ex-premier ministre, qui venait pourtant de tresser des lauriers sur sa réforme de la retraite, a lâché le Ministre du travail en rase campagne. « Il est certain que la situation qui l'amène à cumuler son poste de ministre et celui de trésorier de l'UMP peut créer des difficultés, je pense qu'il devrait clarifier les choses sur ce plan-là. » Il a ensuite affirmé garder toute son estime pour le ministre : «C'est un homme que je crois intègre jusqu'à preuve du contraire. C'est un bon ministre. » Dans ce contexte, ce n'est pas bien sur, le mot intègre ou la confiance que Juppé déclare lui conserver, qui compte, mais le syntagme « jusqu'à preuve du contraire ».

Que signifie en effet ce « jusqu'à preuve du contraire  »?  Que cette preuve du contraire, évoquée presque nonchalamment, comme un automatisme de langage, devrait survenir bientôt ? Qu'Alain Juppé aime ses amis jusqu'à temps que la vérité fasse trop concurrence à l'amitié, et qu'il faille alors lui rendre les armes ?

Qu'il est prêt, le cas échéant, à renoncer à son nouveau job de dans trois mois - Ministre des affaires étrangères - pour remplacer son ami « empégué », comme on dit à Bordeaux, dans l'affaire Bettencourt ?
En tout cas, une chose est sûre : Alain Juppé ne sollicitera pas Madame Woerth qui, elle-même, ne serait pas prête à lui proposer ses services de conseiller fiscal.

 De toute façon, Alain Juppé, lui, n'a pas fait HEC, n'a jamais bossé chez Arthur Andersen et sa femme était journaliste, et pas en politique. Alors, si le Président a envie de prendre des risques avec des gens sympatoches mais inconscients, c'est son affaire... Transparent Alain Juppé....

La président, lui, a dû piquer une sacré colère quand on lui a amené la dépêche de ce cher Alain. Voilà trois jours que ministres, conseillers et éditorialistes modèles s'échinent à donner la consigne : tous derrière Eric Woerth ! Et voilà qu'un poids lourd du gouvernement actionne lui aussi la - sordide, Coppé dixit - machine à rumeurs. Le problème est qu'il n'est pas le seul.

 On avait vu le Point poser la question de la nullité du Président à la une? Un truc qu'on croyait impossible. On a vu, avant le week-end, Le Monde, jusque là fort prudent, commencer à relayer l'info sur l'affaire. Et surtout le Journal du Dimanche a pris des distances qu'on ne lui connaissait plus depuis longtemps. Deux pages sur l'affaire Bettencourt, une nouvelle pièce au dossier (le lingots de Robert Peugeot avec une photo de chasse étonnante) et un éditorial glacé de Claude Askolovitch :

 « Voir Henry, capitaine d’une escouade de privilégiés faillis, au moment où François Fillon doit insister pour que le sous-ministre Christian Blanc rembourse ses cigares au pays; quand on découvre les faiblesses de l’inflexible Eric Woerth et les ineffables bonheurs fiscaux des Bettencourt ; quand les complaisances que l’on s’accorde, du bon côté de la France, rendent risibles les discours de rigueur ou de probité. » Mais non! l'éditorialiste du JDD ne manifeste pas sa déception de ne pas avoir été choisi pour remplacer Demorrand. Il a simplement ras la couenne de défendre un président « brillant » mais « égocentrique ».

Que l'on ne s'y trompe pas. Juppé et Askolovitch ne sont pas des sarkozystes déçus ou destabilisés. Sarkozystes, il ne l'ont d'ailleurs jamais été, c'est tout ce qui faisait le charme de leur sympathie pour l'homme. Il était peu probable que la défense de l'équipe Sarko craque par le centre. On n'attendait pas d'un Frédéric Lefebvre ou un Pierre Charron (privé de chasse présidentielle sur l'autel de la rigueur) qu'il lâchent le président. Ceux-ci resteront présents même s'il leur fallait donner la garde républicaine contre les piques des citoyens. Le régime, comme toujours, cède pas les ailes, par les « artistes », ces ralliés inattendus de la politique ou de l'intelligentsia qui donnaient le change et esquissaient le visage d'un sarkozysme séduisant. Interviewer aujourd'hui un Alain Finkelkraut ou un Luc Ferry sur le sarkozysme, c'est mesurer la dégringolade intellectuelle, « gramscienne » depuis trois ans. Vertigineux...

Le sarkozysme craque aussi à l'Assemblée. Depuis deux mois, Nicolas Sarkozy enchaîne les séquences calamiteuses aux séquences calamiteuses, comme s'il cherchait à toucher le fonds de la piscine pour mieux remonter. Mais entendre notre Président, qui se faisait fort de convaincre les grands de ce monde des nécessités de la relance, se répandre en pléonasme douteux - il soutient Woerth « complètement et totalement » - avant d'annoncer qu'il se rendait tout aussi complètement et totalement aux arguments fillonesques sur la rigueur, supprimant d'un seul trait de plume la garden party de l'Elysée (décidément, il a un problème avec ce rite républicain) les chasses élyséennes, les gouvernement pléthorique et ses armées de conseillers, et la com des ministres résonne curieusement, surtout au moment son Air Force One, un petit bijou à 176 millions d'euros, va être livré...

Que cherche le président ? A se débarasser d'Henri Guaino que toutes ces nouvelles doivent rendre encore plus fou qu'il ne l'est ? A laisser la place à François Fillon ? Quand, en sus de tout ceci, Jean-François Copé, le patron du groupe annonce tout de go dans Le Monde que le triste rabot de Bercy va rogner non pas cinq mais dix milliards de niches fiscales, autant dire que ce sont  320 députés UMP qu'on assassine. A ce stade, il ne reste plus qu'à attendre de François Fillon, qui en meurt sans doute d'envie, qu'il abaisse le pouce sur son ministre Woerth. A la rentrée ou la semaine prochaine ?
Ami Sarkozy, où es-tu ?

source:marianne